Demon Copperhead, Barbara Kingsolver

De Barbara Kingsolver, j’avais adoré L’arbre aux haricots, (parce qu’il est plein de vie, que les personnages y sont très forts et surtout parce qu’on y trouve une belle amitié entre femmes, ce qui est assez rare dans le corpus littéraire général composé à 80% d’œuvres misogynes – chiffre non contractuel). J’ai également lu plus récemment avec plaisir, son recueil Apprendre à voler en 100 leçons faciles, et notamment le beau texte qu’il contient sur le tricot ! Quand son nouveau livre Demon Copperhead est sorti, j’avais donc très envie d’essayer. En s’inspirant des romans de Charles Dickens, Barbara Kingsolver raconte l’histoire de Demon, un orphelin qui, comme les enfants décrits par l’auguste auteur anglais (le sexisme en moins sans doute), est brinquebalé de misères en vicissitudes. L’intrigue ne se déroule pas dans l’Angleterre du 19ème siècle mais dans l’Amérique des années 90, dans les Appalaches, une région pauvre et délaissée, où les adolescents qui sortent d’une école au rabais n’ont d’autre choix que d’accepter des jobs de merde, ou de sombre dans la drogue. C’est l’Amérique des « Hillibillies », les ploucs, les péquenauds, les arriérés dont l’Amérique se moque, après avoir passé la région à la moulinette de l’extractivisme et de l’exploitation. Beau décor donc. En tout cas, c’est ce que pensent les entreprises pharmaceutiques peu scrupuleuses et les médecins qui se laissent gaiement corrompre à coups de voyage tout frais payés à Hawaï. Une région pareille, c’est un vivier de futur·es addicts aux opioïdes, une drogue légale du moment qu’on possède une prescription, ce qui n’empêche pas un florissant marché noir.

Voilà, dans les grandes lignes, le cadre dans lequel évolue Demon. Rien ne lui sera épargné (et à nous non plus d’ailleurs), mais cet enfant, qui devient ensuite adolescent, est tellement plein de vie qu’on le suit avec enthousiasme dans les quelques 600 pages de cette aventure. Champ de tabac, labo clandestin, terrain de football, on traverse avec lui ce territoire que Barabara Kingsolver aime et habite. Et c’est ce qui est vraiment réussi dans ce roman, la générosité qui le traverse. L’autrice aime ses personnages, ses paysages, et malgré les overdoses, le racisme, la violence exercée sur les femmes et les enfants, le livre déborde de lumière.

J’ai lu le livre en anglais, et je suis admirative de la langue que Barbara Kingsolver a réussi à créer pour Demon, qui s’exprime cash, avec un esprit caustique réjouissant. Et qui sait raconter les histoires de celles et ceux qui l’entourent avec un talent certain. Ça n’a pas du être facile pour la traductrice chez Albin Michel, Martine Aubert, mais comme je n’ai pas lu la version française, je ne peux pas vous dire si elle a réussi.

Par exemple ici, au début du livre, un paragraphe où Demon raconte l’histoire de Mariah, la mère de son ami d’enfance, Maggot, aujourd’hui enfermée dans une prison pour femmes (pour avoir redessiné le visage de son mari avec un couteau après que celui-ci l’ait agressée et harcelée pendant des mois) :

« Before she’s even had the baby, he’s (Romeo, le père de Maggot) out running around in front of God and anybody with other girls. And suggesting Mariah is lucky to be carrying his seed. She’s the one that went and got pregnant, was she not ? Next comes baby, and Mariah is feeling not so much the lottery winner now, tired to death, nagging her man to stay home and help out or at the very least quit chasing tail. For this kind of lip, she gets to be on the receiving end of quite a lot more than the golden dick and killer smile. One night after a blow-up, she’s threatening to call her sister June to come help her pack up the baby and get out of there. He rips the phone out the wall, knocks her flat , and ties her hands behind her back with the phone cord […] . The first time, it’s two hours. Then Romeo comes back with his pretty smile and asks her if she’s sorry. She says yes, she runs to calm down and feed poor Matty, and that’s what passes for making up in this love nest. »

L’ambiance est posée. Le style aussi, vif, n’hésitant pas à secouer un peu la syntaxe, rapide et brillant. Si vous aviez envie d’un grand et long roman, que l’on quitte un peu à regret, où l’on navigue entre indignation, espoir, colère, où l’on se demande parfois si l’autrice n’en fait pas un peu trop avant de se rappeler que c’est cela même qui crée le plaisir de lecture dans ce type de romans, et bien vous avez de longues soirées devant vous en compagnie de Demon Copperhead.

Demon Copperhead, Barbara Kingsolver, 2022, publication française en 2024 chez Albin Michel

Conseil lecture d’Elise

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *