La ruée minière au XXIème siècle, Celia Izoard

Depuis quelques années, nous suivons et admirons le travail d’enquête et d’écriture de Celia Izoard. Nous avions été très touché·es par La machine est ton seigneur et ton maître, un recueil de textes terribles qui racontent le quotidien des travailleurs des usines Foxconn, fournisseurs d’Apple, Kindle, Playstation, qu’elle avait traduit et postfacés chez Agone. Nous avions lu avec intérêt l’article « Cancer, l’art de ne pas regarder une épidémie », paru dans la revue Z numéro 13 (et disponible en ligne ici https://www.cairn.info/revue-z-2020-1-page-94.htm) et les articles autour de l’exploitation minière dans le numéro 12 de la même revue (https://www.cairn.info/revue-z-2018-1.htm?contenu=sommaire). Et nous avions essayé d’organiser une date autour de Merci de changer de métier, aux éditions de la dernière lettre, mais un train raté avait fait tomber l’aventure à l’eau (nous sommes libraires en Bretagne, à Mellionnec).

C’est donc avec impatience que nous avons ouvert La ruée minière au XXIème siècle, enquête sur les métaux à l’ère de la transition. C’est un livre bien construit, très documenté, et bien écrit : il se lit donc avec facilité, malgré l’orientation à la fois théorique et technique du propos. En fait, ce serait assez nécessaire qu’un maximum de personnes le lisent (ou si certain·es ont du mal à se plonger dans un texte, transmettez-leur le lien vers cette vidéo réalisée par Blast https://www.youtube.com/watch?v=PrjdUNS-p4s). Celia Izoard enquête sur l’extractivisme, à l’heure où les mines se parent d’un nouvel aura positif. Exit Germinal et les relents d’explosions, de misère, d’exploitation : les mines sont devenues « responsables », et surtout, indispensables pour aider nos sociétés à réaliser la fameuse transition verte qui sauvera le climat et la planète : voitures éléctriques, panneaux solaires…

Sauf que. D’abord, Celia Izoard le montre clairement, les mines responsables, ça n’existe pas. Les organismes de certification remettent leurs rapport sans même visiter les lieux concernés, sans parler aux habitant·es riverain·es, sans s’entretenir avec les travailleurs. Elle décrit aussi les paysages dévastés sur des hectares et des hectares autour des mines de Rio Tinto, en Andalousie, et en lisant ces pages, on a effectivement du mal à déterminer ce qu’il pourrait y avoir de responsable là-dedans. Bref, une mine responsable, c’est une « chimère » pour reprendre son analyse.

Et puis, pour répondre à la demande de la transition des seuls pays riches, il faudrait augmenter énormément l’exploitation minière, qui est déjà très problématique actuellement : pollution des eaux, des sols, TOUT autour de ces entreprises est purement et simplement catastrophique. Et si on regarde les dégâts sociaux, c’est encore pire. Rien de responsable donc, dans l’accélération de l’exploitation minière.

Enfin, ce changement de visage de la mine arrange bien les acteurs du capitalisme et les dirigeants de nos sociétés de consommation : l’acceptabilité des mines – grâce au prétexte de la transition – leur permettra de continuer et d’étendre l’exploitation pour répondre à des besoins qui n’ont rien d’écologique, dans les domaines du numérique, de l’aérospatiale et de l’armement. La mine n’a jamais cessé d’être un secteur stratégique et pour sécuriser leurs approvisionnement en métaux et terres rares, les états sont prêts à fermer les yeux sur bien des choses, voir à attiser ou créer des conflits armés, au détriment des populations civiles. La transition a bon dos.

Si vous voulez des détails, des chiffres, des faits, lisez le livre, vous y trouverez tout cela. Mais le texte de Celia Izoard est aussi passionnant parce qu’il inscrit l’exploitation minière dans un contexte culturel, il interroge l’imaginaire autour de la technique. Dans la dernière partie du livre, elle montre comment le capitalisme repose sur la mine, et quels fondements théoriques et culturels permettent à cette « matrice extractiviste » de façonner nos sociétés.

A nous de renouveler nos imaginaires, de, partout où cela est possible, s’opposer à l’extractivisme, et de refuser le consumérisme qui nous est imposé comme seul modèle enviable.

La ruée minière au XXIème siècle, Celia Izoard, Seuil – Conseil de lecture d’Elise

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