Récemment encore, je n’avais jamais entendu parler d’Adelheid Duvanel. A vrai dire, l’œuvre de cette autrice suisse qui écrivait en langue allemande, n’est disponible en France que depuis 2018, avec deux titres chez Vies parallèles ( Délai de grâce et Anna et moi), et deux titres chez Corti, La maison et Histoires de vent, ce dernier sorti en mai 2024. Intriguée par un titre aussi prometteur, j’ai ouvert le livre, et la première page m’a tout de suite scotchée.
Il y a encore quelques mois, je m’efforçais d’être sociable. J’attirais des inconnus dans ma maison. Le vin étincelait comme des fleurs de sang dans les verres que je leurs tendais. Au petit matin, les yeux des jeunes femmes et des jeunes hommes se vidaient, coulaient goutte à goutte, chaudement, sur leurs cous, sautillaient sur les clavicules et descendaient en ruisselant. Mais moi qui n’avait pas bu, j’étais assis comme de la cellophane dans le fauteuil râpé à côté du chauffage central et j’observais leurs danses ; ils se détachaient des murs auxquels ils s’étaient agrippés, et flottaient comme du lierre au gré du vent.
Adelheid Duvanel écrit incroyablement bien, avec une sensibilité tangible qui produit des images originales, étonnantes. Les textes qui sont rassemblés dans Histoires de vent sont de petites nouvelles très courtes que les éditions Corti décrivent comme des « miniatures d’une bouleversante intensité ». Les héros et héroïnes de ces histoires condensées sont toujours des êtres vulnérables, à la lisière de quelque chose, souvent des enfants ou adolescent·es maltraité·es, mal aimé·es, pris comme des mouches dans les toiles d’araignées d’un monde sans tendresse.
Ces personnages fragiles, Adelheid Duvanel les décrit avec une attention très précise à la beauté qu’ils et elles dégagent et savent voir. Ses courts textes, infusés par cette sensibilité particulière au monde sont de petits joyaux, mais des joyaux blessés, touchés par la cruauté.
L’ouvrage est court, mais les nouvelles ont une telle force qu’il est pratiquement impossible de les avaler toutes les unes après les autres. On prend son temps à la lecture, on accepte de refermer le livre, d’attendre un peu avant de rencontrer un autre personnage qui viendra nous bousculer d’une façon incongrue et un peu âpre. Et on le referme avec la certitude qu’Adelheid Duvanel est une grande écrivaine, qui mérite plus de reconnaissance que ce qui lui a été accordé jusqu’ici.
Si vous voulez découvrir son œuvre, bien sûr, lisez ses livres. Vous pouvez aussi écouter ici une émission qui lui est consacrée sur RTS :
HISTOIRES DE VENT d’Adelheid Duvanel traduit par Catherine Fagnot, aux éditions Corti
Conseil lecture d’Elise