Spinoza, un kif compliqué de Denys Moreau

Quand on aime emporter des livres  avec soi, il est facile de sympathiser avec le personnage du lecteur de l’Éthique que Denys Moreau a créé. Un livre, ça s’emmène, au fond d’un sac ou dans une belle pochette, à la plage ou en week-end chez des amis, dans les salles d’attente… et chacun de ces moments prend une coloration différente au gré de nos choix de lecture. On repense à ce qu’on vient de lire, et on en rêve parfois.
Spinoza un kif compliqué est avant tout l’histoire de ce lecteur qui a un jour choisi de cheminer un moment en compagnie d’un des plus grands classiques de la philosophie moderne : l’Éthique de Spinoza.
Des raisons qui ont amené le lecteur à faire ce choix, nous ne saurons rien, mais le personnage, lui, est bien aimable : il promène son livre un peu partout, depuis sa table de nuit jusque dans le vide-poche de sa voiture, ici et là, malgré les difficultés de cette lecture, il s’accroche au texte, il fait des efforts. Sans déférence pour le « chef-d’oeuvre » ou son auteur, il se forme une approche du texte, personnelle et pleine de curiosité. Enfin, grâce à ses coups de crayons, il met en image ce que les phrases de Spinoza lui évoquent, comme pour les apprivoiser ou les confronter à des exemples.
Il n’est pas nécessaire de connaître le livre de Spinoza pour apprécier la lecture du livre de Denys Moreau car c’est à la fois un essai de transmission d’une partie du texte et en même temps l’histoire de l’effort fait par un esprit singulier pour rentrer à sa manière dans la pensée du philosophe. C’est ce canal original qui décomplexera aussitôt ceux à qui la philosophie fait peur. Ici, on est accompagné par un lecteur qui n’est pas prof, ni juge, ni fanatique de l’oeuvre de Spinoza, mais un type honnête qui prend dans le livre ce qui lui va le mieux et en fait quelque chose d’autre. Ce rapport (sain) à l‘Éthique et à la philosophie en général rappelle les préconisations de Gilles Deleuze sur cette lecture dans son Spinoza philosophie pratique et dont une citation ouvre le livre.

Spinoza écrivant son éthique, par Denys Moreau

À toutes les formes d’organisation, à tout les statuts différents que prennent les mots de Spinoza (démonstrations, corollaires, scolies, axiomes etc.) dans son Éthique, Denys Moreau a l’audace d’ajouter le dessin. Car si les dessins du personnage sont bien des tentatives, faites pour lui-même, de comprendre et de s’approprier le texte, il en résulte un système cohérent d’interprétation de la pensée de Spinoza et qui passe cette fois par des images. Là, l’auteur de Spinoza un kif compliqué, s’engage : les affects deviennent des champignons, Dieu est un parpaing et beaucoup de rapports entre les êtres sont modélisables par le foot ou le ping-pong. Quelquefois même on mesure sa volonté ou l’on éprouve sa détermination au bar du coin (un peu à la façon dont Deleuze expliquait la pensée de Leibniz d’ailleurs).

On admirera donc la capacité de synthèse et la puissance évocatrice de ces traits de crayons, fins et efficaces. Pour moi qui ai déjà essayé, mais trop peu, de lire l’Éthique, j’ai été ému de mieux saisir certains aspects de la pensée de Spinoza grâce à ces dessins ou même simplement de me rappeler certains enseignements précieux comme le puissant : « nous devons toujours prêter attention à ce qu’il y a de bon dans chaque chose afin qu’ainsi ce soit toujours un affect de joie qui nous détermine à agir » et que Denys Moreau a traduit par la représentation de son personnage en train d’arroser, pour les faire pousser, des champignons sur sa jambe gauche.
Finalement, quatre siècles après la publication de l’Éthique, on peut encore se saisir à profit de ce beau livre, pourvu qu’on tombe sur les bons passeurs. Et je pense que Spinoza serait fier de son singulier lecteur.

Spinoza, un kif compliqué est paru aux éditions six pieds sous terre le 3 mai 2018.  N’hésitez-pas !

robin

 

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