Guy Moreau, qui signait Guy M. sur les pages des Cahiers du bruit, nous a quittés le 21 mai 2020.
Il s’est éteint à son domicile, affaibli par une longue maladie. Son amitié et ses précieuses contributions à ce site nous manqueront énormément.
J’ai rencontré Guy, grâce à son fils Denys, et d’abord par son écriture si remarquable, vers la fin des années 2000. Il tenait alors un blog qu’il est utile et agréable de lire ou de relire. Il y traitait notamment de l’actualité politique avec une justesse et une détermination que je ne retrouvais pas ailleurs et j’avais pris l’habitude de guetter ses posts quotidiennement.
Son escalier bibliothèque était une fenêtre sur le monde et j’avais la sensation chaleureuse de m’accouder à ses côtés pour observer les injustices et la bêtise de notre temps grâce à son regard si fin. Il est profitable en effet quand on est dans la génération qui suit, de pouvoir ressentir la colère et l’indignation d’un ainé et de la partager avec lui. On bénéficie de son expérience, de sa culture, et on s’inscrit dans une longue histoire qu’on tend à mieux comprendre. Guy savait faire concorder les temps, il savait nous plonger dans une constellation de faits, de mots, d’images et en tirer du sens. C’était tour à tour son humour ou son infinie dignité qu’il opposait au cynisme et à la bêtise, les faisant taire avec une phrase ou une image. Il n’y a qu’à voir l’usage qu’il faisait des légendes des illustrations pour mesurer l’acuité de son esprit, je viens d’en reparcourir quelques-unes et soit j’ai eu envie de pleurer, soit j’ai éclaté de rire. Son style d’écriture était, je m’en rend compte, assez musical, et l’on vibrait en suivant sa pensée se développer. Une écriture d’humeur en quelque sorte, qui devait sortir de lui d’abord par des émotions qu’il canalisait ensuite en construisant un récit, une blague, un fil qui nous tienne près de son humeur du moment.
Son immense culture, bien sur, lui permettait de s’orienter et de nous orienter dans les événements du monde : il pouvait vous parler d’Henri Calet ou d’Inger Christensen aussi bien que d’un enregistrement de Jazz oublié, des suites de Fibonacci ou de certaines crapules qui gouvernaient sous la troisième république. Et cela allait de pair avec une grande curiosité : il lisait les dernières sorties, écoutait les propositions qu’on lui faisait avec gourmandise, allait aux vernissages etc.
Fait remarquable, lorsqu’il partageait cela dans ses publications comme à l’oral il était toujours profondément convaincu de l’intelligence et de la culture de ses récepteurs.
Quand nous avons ouvert notre librairie-bouquiniste à Rouen Élise et moi, Guy venait nous rendre visite régulièrement et il nous en apprenait beaucoup sur nos rayons. C’est aussi lui qui a écrit le meilleur article à propos de cette boutique et nous étions très fiers de figurer dans la liste de ses « fournisseurs agréés ».
À l’inauguration de notre librairie de Mellionnec, il avait trouvé les forces et la compagnie d’un ami pour nous faire l’honneur de sa présence malgré la maladie et ses traitements épuisants.
C’est Denys qui a du insister pour le convaincre d’écrire pour les Cahiers du bruit car une vraie discrétion l’en empêchait. Les lecteurs réguliers de ce site qui connaissent donc bien la qualité de ses publications mais peut-être pas Guy lui-même, s’étonneront sans doute d’apprendre qu’il nous les soumettait chaque fois avec une grande humilité. De notre côté nous étions plus qu’honorés d’avoir un contributeur aussi précieux, qui nous surprenait toujours et qui était devenu le vrai moteur de ces pages.
Il a publié en peu de temps un nombre considérable de notes de lectures, parcours d’exposition, recettes de cuisine, présentation de films qui nous emmènent dans des pays, des genres, des époques si variés qu’on ne peut que vous conseiller d’aller les (re)découvrir.
À toutes ses publications j’ai envie d’ajouter le conseil de lecture qu’il nous donnait en Mars :
« Je me suis ensuite réjoui de la sortie d’un livre de Ruth Zylberman, « 209 rue Saint-Maur, Paris Xème,autobiographie d’un immeuble », qui prolonge le film documentaire « Les enfants du 209 rue Saint-Maur, Paris Xème », diffusé sur Arte il y a quelques années — et qui est dans la liste des replays d’Arte jusqu’au 15 janvier 2022. Film et livre sont passionnants, fruits d’un travail de plusieurs années par une documentariste pleine de tact et de délicatesse avec les témoins survivants qu’elle a pu retrouver et qui ont accepté d’être filmés. Cela mériterait un développement, mais là encore il y une telle richesse — et une telle humanité — que cela m’intimide encore. «
Guy n’aura pas eu l’occasion de faire ce développement mais je sais qu’il aurait été au plus juste et au plus digne de la richesse et de l’humanité dont il voulait rendre compte.
Il est décédé chez lui aux côtés de la pile de livres qu’il avait fini de lire et venait juste de passer commande de quelques nouveaux ouvrages. Avait-il lu tout ce qui se trouvait dans son immense bibliothèque ? Pour une fois on serait prêts à le croire.
Merci Guy, pour ton succulent poulet au vin jaune, pour la chaleur de tes conseils, pour tes lumières sur notre époque, pour ta bienveillance et ton humour.
Robin et Élise
C’est un beau témoignage d’admiration et d’affection. Merci.