« Ma ZAD » de Jean-Bernard Pouy

« Ma ZAD » est le dernier roman de Jean-Bernard Pouy, un auteur dont j’aimerai toujours lire, relire et prêter les bouquins.

Pour moi, son écriture a quelque chose de parfaitement bien foutue. C’est l’équilibre entre un récit prenant et des inventions narratives, stylistiques. Si on ajoute à cela le fait qu’il travaille avec soin des personnages auxquels on s’attache car butés, râleurs, en révolte, en marge, il n’y aucun doute à avoir : il faut prendre le temps de lire un, deux, trois de ses romans. Et plus si affinités.

En général, une histoire de Pouy, ça démarre avec du plomb dans l’aile : le narrateur est muet  (« La Belle de Fontenay »), il a une une patte folle (« H4Blues ») ou tout simplement il arbore une sale, mais vraiment sale gueule (« Suzanne et les ringards »). Le handicap, le stigmate, tout ça participe d’une vision radicale du monde, pour le grand plaisir du lecteur, qui se retrouve pendant le temps du récit dans la boîte crânienne d’un être singulier à qui il arrive des crasses. A répétition, bien souvent.

Dans « Ma ZAD », ce type, c’est Camille. Pas de lourd fardeau à porter, si ce n’est celui de se sentir le dindon de la farce capitaliste : interpellé alors qu’il apportait un soutien logistique, somme toute modeste, aux activistes de la ZAD du coin, il se retrouve sans emploi (licencié du supermarché Ecobioplus), sans hangar (parti en fumée) et tabassé (par des costauds locaux, aux mains lourdes). S’il trouve un bref réconfort dans la vie communautaire et l’action collective, le roman n’est pas un exercice de style autour de l’alliance des gueux contre le Prince. Camille partira tout seul (ou presque) à l’assaut de ce monde qui conspire contre lui. Il va mener son enquête en même temps que sa revanche. En s’attaquant à bien plus gros que lui. Et peut-être plus malin. A commencer par la famille Valter, dont les projets de plate-forme multimodale sont contrariés par l’installation de cette ZAD, en pleine cambrousse.

Voilà, c’est clair, net et efficace comme intrigue. On retrouve des constantes des romans de Pouy, notamment la conjuration du sort par les jeux de mots, petites incantations personnelles que je trouve très sympathiques. L’écriture se fait délirante et jouissive le temps d’une ode aux caddies des supermarchés, d’une digression sur L’asperge de Manet ou d’un soliloque sur l’agaçante baguette Tradition. Il y a aussi les moments où les péripéties passent par des chemins d’amertume, comme lorsqu’une chanson plutôt gaie de prime abord bascule en mode mineur. Ces passages se lisent avec un pincement au cœur, et c’est tant mieux, ils sont faits pour ça. Les pages à l’euphorie plus légère ne font jamais oublier que nous sommes dans la Série Noire.

Une fois lu, le livre se glisse dans le sac d’un.e ami.e à la fin d’un repas : « Je l’ai fini hier, je te l’ai apporté, tiens ». Et à la fin de son voyage, il sera rangé aux côté des autres romans noirs de Pouy, formant une mosaïque pleine de gueules cassées, de rouspétance et de jubilation.

Ma ZAD, Jean-Bernard Pouy, Série Noire Gallimard, 2018

 

Article par Denys

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