Invitations à la lecture

 

 

Une fois n’est pas coutume, commençons par un conseil de libraire : si vous ne deviez garder et explorer qu’une seule collection de livres, ce devrait être « L’imaginaire » chez Gallimard.
Composée des textes « marginaux », « expérimentaux » ou passés un peu inaperçus d’auteurs bien connus, la collection « L’imaginaire » est un coffre à trésor. Depuis que je l’ai découverte avec Le cœur aventureux d’Ernst Junger, je ne la quitte pratiquement plus et je lis au moins deux titres par an des 700 parus à ce jour. La liste des bons livres qui la composent est interminable et il en reste toujours à débusquer chez les bouquinistes ou chez les amis.

Mais, voilà, ma collection préférée a changé de peau, pour ses quarante ans. Il paraît qu’à cette âge on a besoin de se refaire une jeunesse. Cela a été remarqué et commenté :

« Un léger lifting. Imperceptible, donc réussi. Pour ses quarante ans, la collection semi-poche créée par Antoine Gallimard a rajeuni ses couvertures, adoucissant les jeux typographiques conçus par le graphiste Massin pour leur donner les courbes évocatrices de calligrammes colorés […] Mais au fond, peu importe l’écrin, les vrais trésors de L’Imaginaire, […] ce sont les textes, raretés ou pépites oubliées du XXe siècle. »
Élisabeth Philippe, L’Obs, 12-19 octobre 2017

N’ayant rien contre le changement, en soi, je laisserai  chacun se faire son opinion sur cette nouvelle apparence. Je voudrai seulement indiquer que contrairement à ce que dit madame  Elisabeth Philippe, l’écrin est important ! O combien important, pour le passionné de livres et de lectures.

Le graphiste Massin, raconte quelque part qu’il a inventé la charte graphique de la collection « L’imaginaire » pendant un de ses moments de repos, un 14 Juillet. Lorsqu’il a présenté les premiers essais (qu’il avait fait sur ses titres préférés du répertoire de Gallimard) à Antoine Gallimard, ce dernier a commencé par ne pas comprendre la singulière proposition du directeur artistique : une typographie différente pour chaque titre du catalogue alors que l’uniformité était la règle. Massin par en ces termes de cette idée :  » C’est la couverture de toute ma carrière de graphiste. Un maquettiste n’imagine pas une collection pareille deux fois dans sa vie.  »

Voilà à quoi ressemblait les couvertures d’alors :

A ce jour c’est encore la collection la plus graphique de Gallimard !

 

 

 

Puis dans les années 1990, le nom de l’auteur s’est uniformisé, c’était une première perte :

 

 

 

 

 

Et maintenant, il se promène sur le côté, on ne sait pas trop pourquoi, sans doute pour laisser place à ce calligramme qui fatigue un peu les yeux…

 

 

 

 

 

 

Bref, si vous regardez ces photos  de ma bibliothèque, on voit nettement que des typographies différentes, si visuellement audacieuses soient-elles, ça donne un charme fou :

Si vous n’êtes pas immédiatement convaincus c’est que mes photos sont mauvaises.

 

Massin est connu pour avoir fait du bien, avec Pierre Faucheux, à la typographie française notamment à travers les livres de « clubs » diffusés sur abonnement et par correspondance comme ceux du Club français du livre.

On lui doit cette belle version de L’Or (1956)

 

Quelques travaux de Pierre Faucheux.

 

Pour les nouveaux visuels de L’imaginaire,  il faudra que je m’y fasse…

Mais pourquoi être si sensible aux couvertures de nos livres ?

Pour moi c’est un réel bonheur que de rêver à partir de l’apparence d’un livre. En modeste connaisseur, je peux savoir beaucoup de choses sur un livre rien qu’en le regardant et en le touchant. Une couverture  détermine notre première approche d’un texte.

Par exemple j’apprécie le côté « écrasant » des couvertures de la collection de sciences humaines chez Gallimard. Émanent d’elles une forme d’autorité intellectuelle,  un canevas rigoureux, le même pour tout ces grands auteurs. Il faut savoir jouer et prendre des distances avec ces codes visuels, mais aussi s’en émerveiller car c’est un bonheur que de savoir qu’on va ouvrir les pages d’une si grande quantité de connaissances…

 

Car les livres, comme toute chose, ne nous viennent pas comme un bloc achevé, ils sont porteurs d’un environnement, d’une histoire, d’un assemblage de liens divers et de caractéristiques matérielles qu’il est bon de déplier.  Il suffit parfois de peu, saviez-vous qu’on a pu considérer ce  type de couverture comme audacieux en son temps :

 

 

Simplement parce que la police de caractère (la Gil) n’a pas d’empattements… contrairement aux canons de l’époque !

 

 

Si vous n’êtes pas sensibles aux couvertures des livres que vous rencontrez (et je sens parfois des réticences, inutile de nier !) c’est peut-être que vous êtes un lecteur français ! Et oui, car il est évident que le style typographique des maisons d’éditions française est marqué par une sorte de classicisme immuable, tout en sobriété. Cela ne manque pas d’élégance, mais c’est un peu tristounet.

Celle-ci tout le monde la connait, Massin l’a un peu rajeunie en son temps
C’est vraiment triste (je parle encore de la couv’)
Ici, tout est ferré à droite, et il y a un peu de couleurs.. Wow !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans l’un de ses essais sur la typographie (Livre et Typographie, chez Allia), Jan Tschichold, qui est lui-même passé par l’avant-garde avant de revenir à une quête minutieuse des codes visuels les plus durables et solides, précise que les jaquettes des livres doivent être mises à la poubelle une fois le livre acheté. Il est vrai qu’elles ne servent en principe qu’à protéger celui-ci de la poussière et des aléas jusqu’à ce que  l’acheteur en soit responsable. Sauf que certains éditeurs décident d’utiliser la jaquette pour mettre un peu de gaieté, et ce serait dommage de s’en passer. Mon conseil : conserver la jaquette, mais la retirer le temps de la lecture (peu confortable en main).

Voici la jaquette
Et voici le livre. C’est quand même mieux avec, non ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous n’avons pas l’habitude des couvertures fantaisie, c’est le moins que l’on puisse dire.

Dans les pays anglo-saxons par exemple, une couverture tout à fait classique, ressemble à cela :

C’est élégant, et quand même plus agréable.
Ceci est un livre de philosophie tout à fait sérieux.

 

 

 

 

 

 

 

Pour être honnête, je n’ai pas toujours attaché de l’importance aux couvertures et puis un jour, en déballant un carton de livres je suis tombé sur un livre des éditions Ombres :

Il y a un contraste étonnant entre cette vieille photo peu engageante et le chapeau en jaune. La typo est tantôt allongée, tantôt écrasée. C’est, j’imagine, un mauvais exemple pour l’apprenti typographe. Pourtant il y a un équilibre, un charme, qui m’a intrigué et m’émeut encore. C’est comme ça que j’ai découvert cet auteur extraordinaire qu’est Jacobsen, ayant oublié qu’il était recommandé par Rainer Maria Rilke dans ses fameuses Lettres à un jeune poète.

Découvrir une maison d’édition inconnue, son catalogue, à travers ses codes visuels et ses couvertures, est une entrée formidable. A l’époque je venais juste de repérer les éditions Phébus fondée en 1976, dont voici des exemples, qui rompent avec la morosité française dont j’ai parlé :

 

 

 

 

 

Au passage, merci aux éditions Phébus, à Jean-Pierre Sicre et Jane Strick, pour leur fonds d’ouvrages magnifiques et  pour cette formidable utilisation du répertoire classique de la peinture.

C’est comme ça qu’on se met à rêver en tenant dans les mains un livre dont on ne connait ni l’auteur, ni le contenu ! Après, on peut se régaler, lorsque les éditeurs ont le talent pour nous y inviter :

Depuis leur naissance en 1982 les éditions Allia ont rapidement trouvé des repères pour se singulariser et être aisément repérables. Avec une bonne fabrication, des livres solides, des papiers doux et souples :

 

L’éditeur suisse Héros-limite fait un travail merveilleux sur ses livres :

 

Les bons graphistes rivalisent de malice et d’astuce pour nous emmener dans les textes, comme dans ce concours de couvertures pour Lolita  (thème à haut risque).

 

Enfin il faut rendre hommage à la nouvelle génération d’éditeurs pour qui l’aspect des livres est très important :

Les éditions Cent Pages sont même essentiellement tournées vers la recherche typographique, mais leur catalogue est aussi très bon ! Là, innovation, audace, et parfois des choses difficiles à suivre mais c’est le propre de l’avant-garde je crois.

Voilà pour un très bref aperçu de quelques coup de cœur et une occasion d’expliquer pourquoi je crois fermement qu’il faut s’intéresser à la fabrication des livres, à leur aspect,  et au travail des éditeurs aussi bien du point de vue de la forme que de celui de la ligne éditoriale.

Bonne lecture.

robin.

Illustration de l’article : quelques couvertures des éditions Zulma par le graphiste David Pearson.

4 commentaires Ajoutez le votre

  1. Viduité dit :

    Merci pour ce très bel article.
    Effectivement, L’imaginaire reste une collection décisive. Je me demande comment sa nouvelle identité graphique sera identifée comme représentative des années 10.

  2. Michèle dit :

    Robin,
    Merci pour ce bel article, juste et sensible, que je vais relayer.
    Michèle

  3. lescahiersdubruit dit :

    Merci pour vos commentaires ! Il est heureusement impossible de lister tous les éditeurs qui font un travail remarquable sur leurs livres mais je m’en veux déjà de n’avoir pas mentionné Plein Chant. Alors voilà : http://www.pleinchant.fr/

  4. feltgen virginie dit :

    article merveilleux… qui réveille des envies de collection , oh juste un peu…que de bons souvenirs, certaines couvertures !! merci en tout cas …je diffuse….

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