Un pays, celui des jardins statuaires. Dans de larges domaines cernés par des murailles de pierre, des jardiniers font pousser des statues. Ils élaguent, taillent, bouturent les étranges plantes, et leur travail attentif favorise le jaillissement d’une beauté contenue d’avance dans la petite pousse qui émerge du sol. Le jardinier sculpteur ne modèle pas la pierre mais la regarde pousser : tout son art est d’accompagner cette croissance sans l’entraver.
Ce livre est d’abord le récit d’un voyage. Un homme arpente l’étrange pays des jardins statuaires et note dans ses carnets ce qu’il découvre. Nous apprenons avec lui avidement les us et coutumes d’un peuple fascinant, aux règles établies depuis bien longtemps mais que semble menacer une étrange ruine. Car la présence du narrateur met à jour les lézardes qui travaillent ce royaume : la place des femmes, le rôle obscur des hôteliers sur les routes qui bordent les jardins, le gardien qui veille sur la frontière, et surtout, cette étrange rumeur venue d’un Nord où des barbares s’uniraient pour ravager les jardins statuaires. Le récit de voyage se transforme peu à peu en véritable aventure, et l’ouvrage devient difficile à classer, il touche aussi bien au conte philosophique qu’au roman fantastique.
Être pris par la main, la main d’un philosophe, d’un sage, voila la sensation qui se dégage de cette lecture. Le style est très lisse, d’un classicisme limpide, il coule et modèle patiemment un univers très particulier, entre assoupissement collectif et beauté jaillissante. On a le sentiment de reposer dans un récit mythique, sans fin. Avec l’élégance de l’écriture de Julien Gracq, en laissant même l’écriture disparaître derrière la tension narrative. Ici on va de l’avant, parfois très vite, on respire au grand air, on discute sous des tentes, dans des cellules, c’est l’aventure et toutes ses promesses.
Les jardins statuaires fait partie d’un cycle plus large, le Cycle des contrées, que les éditions du Tripode ont décidé de publier à nouveau, dans de beaux livres noirs aux couvertures illustrées par François Schuiten. Les autres ouvrages qui composent ce cycle n’ont pas la profondeur des Jardins statuaires. De ce livre particulier, se dégage une grande force fantastique, rêveuse et solennelle que le style érudit de Jacques Abeille porte à merveille. Les autres volumes du cycle souffrent peut-être d’un trop grand décalage entre la nature des évènements qui traversent les personnages et la précision lettrée d’un style qui tout à coup pèse. Ce sont tout de même de bons romans, et le lecteur comblé par les jardins statuaires n’hésitera pas à plonger également dans ces autres titres.
Elise