La sentence de Louise Erdrich

D’habitude, Louise Erdrich n’écrit pas des romans qui se déroulent à notre époque. Elle s’y est risquée cette fois-ci et elle dit elle-même que ce n’était pas facile. Mais elle a bien fait ! Le personnage principal de cette histoire est Tookie, une amérindienne d’une quarantaine d’année, qui a passé pas mal de temps derrière les barreaux. Là, elle s’est plongée dans les livres et à sa sortie de prison, elle postule pour travailler dans une librairie, à Minneapolis. Elle devient donc libraire, et ce boulot lui convient bien car elle lit beaucoup et aime conseiller les gens. Birchbark, la librairie où elle est embauchée à Minneapolis existe dans la vraie vie : Louise Erdrich l’a crée en 2001 en hommage à ses ancètres objiwé. C’est une librairie qui est devenue un lieu culturel important pour la culture autochtone qu’elle contribue à faire rayonner. Revenons en au roman. Justement, Louise Erdrich avait envie d’écrire une histoire de fantôme qui se passe dans une librairie. (voir la vidéo consacrée à la rentrée littéraire d’Albin Michel, dans laquelle on voit l’autrice parler de son roman). Dans tous ces repaires de passionné·es de livres, il y a forcément des client·es un peu fatiguant·es non ? Et voilà qu’une des clientes « pénibles » de Tookie, une habituée de la librairie, se met à hanter les lieux après sa mort. Que veut-elle à Tookie ? Et bien, il va falloir lire le livre pour le savoir. Il y a donc cette histoire de hantise un peu loufoque, qui vient bousculer Tookie. Et puis il y a l’actualité qui vient bousculer Louise Erdrich. Car pendant qu’elle écrit son roman, la Covid débarque. Et puis, un choc terrible secoue Minneapolis : l’assassinat de Georges Floyd par le policier Derek Chauvin. La communauté amérindienne, assez forte à Minneapolis, a rejoint les manifestations qui ont suivi cet assassinat, des décennies d’oppressions ayant construit au sein de cette communauté un fort sens de la révolte contre les violences d’état perpétrées sur les minorités. Ce sont d’autres histoires de fantômes et de hantise que convoquent alors la mort de Georges Floyd, dans un contexte où les autochtones aux États-Unis continuent à lutter pour leurs droits.

Comment toutes ces histoires viennent-elles s’insérer dans la trame de La sentence ? C’est assez étonnant en fait. Au début, je me suis dit, tiens c’est bizarre, ça ne ressemble pas à un roman américain. Parce qu’il y a une sorte de tradition du roman américain avec une construction impeccable, qui nous conduit là où le récit se déploie avec une sorte d’efficacité, parfois un peu agaçante, surtout quand les ressorts de cette construction sont visibles. Ici c’est différent. Peut-être parce que Louise Erdrich s’est laissée porter par les événements, peut-être parce qu’elle aime beaucoup ses personnages. En tout cas, au début ça m’a gênée, je me disais, oui c’est pas mal mais c’est mal construit. Et puis j’ai un peu réfléchi, et surtout, je me suis laissée porter moi aussi par le récit. J’ai changé d’avis. J’ai l’impression qu’en fait Louise Erdrich propose d’autres formes de narration, d’autres récits plus attentifs à la vie, aux nuances, peut-être moins efficaces, mais certainement plus juste. Et en tant que lectrice habituée à une certaine forme de narration, ça m’a bousculée. Pour le mieux.

Autre chose : le roman se déroule dans une librairie, et donc les libraires y conseillent des livres. Hop par ricochet, voici que nous aussi lecteurs et lectrices du roman, bénéficions de ce ces conseils. Il y a même une bibliographie à la fin qui liste les titres préférés des personnages du roman, et qui m’a donné plein d’envies de lectures. Que de livres à lire, c’est vertigineux. Comme nos courtes vies ne nous permettront pas de tous les ouvrir, je suis prête à faire confiance à une autrice libraire et à essayer ses coups de cœur. Prochaine lecture peut-être, Clarice Lispector ?

La sentence, Louise Erdrich chez Albin Michel, 2023.

Image : Fibonacci Blue

Conseil lecture d’Elise

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