Un peu de folie : A quelle heure passe le train …

Ce livre est une discussion entre Jean Oury, fondateur de la psychothérapie institutionnelle et de la clinique de La Borde et Marie Depussé, auteure, chercheuse en littérature et compagne de route de La Borde. Cette discussion erre, tisse, et construit un récit qui vient raconter l’histoire de La Borde, expliquer la psychothérapie institutionnelle, dire l’amour pour les fous.

Cette conversation laisse toute sa part aux rires, aux interruptions. Cette forme fonctionne comme une invite à entrer en dialogue et si le livre est dense, la conversation assure qu’on pourra revenir y lire des morceaux, reprendre et poursuivre la discussion.

Au terme de ma lecture, j’ai eu le sentiment de n’avoir rien retenu d’autre qu’un murmure qui depuis m’accompagne lorsque je côtoie les folles et les fous avec lesquel.les je suis amenée à travailler. Un murmure, ce n’est pas grand-chose, mais voyez-vous, ça teinte l’expérience. Puis, pour vous partager cette lecture, je suis venue retravailler quelques impressions plus marquantes. Alors ce n’est pas un résumé, seulement un patchwork, quelques morceaux qui j’espère vous donneront envie de vous plonger dans cette belle lecture.

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Avant ça, quelques mots pour traduire l’idée de psychothérapie institutionnelle.

Cette pratique s’intéresse à l’effet thérapeutique produit par les institutions, entendues au sens de lieux et moments institués. Il s’agit de lieux de vie et d’organisation : réunions, clubs thérapeutiques, ou groupes pour la rédaction d’un journal, pour la création d’une pièce de théâtre, pour échanger sur les actualités, etc. En tant qu’institution, leur fonctionnement appartient à toutes et tous : le fonctionnement de la réunion est exposé à toutes et tous, chacun.e peut y prendre la parole, les décisions sont prises collectivement. L’institution permet de prendre soin du collectif, en tant que tel car elle crée un objet partagé, mais aussi de chacun.e individuellement constituant ce collectif. Il y a comme un effet de diffraction par lequel ce qui agit et est dit au sein de ces lieux peut produire un effet thérapeutique sur les usager.ères de la structure. Chacun.e, patient.e, médecin, infirmier.ère, cuisinier.ère, intervenant.e, etc. participe à cette dynamique, et le rôle des soignant.es devient alors d’être garant.e du bon fonctionnement des institutions.

La psychothérapie institutionnelle est notamment pratiquée à la clinique de La Borde, elle a depuis inspiré des praticien.nes travaillant dans diverses structures.

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« L’étonnement, disait [Jean Oury], c’est ce qui est requis pour travailler en psychiatrie. »

Cet étonnement s’accroche à la question « qu’est-ce que je fous là ? » que se posent les résident.es de La Borde face à lui. Qui se pose à lui. Question qui irradie toute la pensée de la psychothérapie institutionnelle. Ce livre va dire, déjà, cette idée-là : celle que nous ne pouvons faire un morceau de chemin avec les fous et les folles qu’en nous ouvrant à ce qui, d’eux, résonne en nous, nous touche. Il faut partager quelque chose, se lier.

L’étonnement serait ainsi la qualité qui permet d’entendre cette question, ne pas l’esquiver, ne pas la résoudre par une explication impersonnelle – alors que, quoi de plus personnel que la question de savoir ce que je fous là ? Pour répondre, il faut alors quelque chose à faire, quelque chose qui produise une rencontre. Une rencontre entendue comme ce qui « va rayer, faire un sillon dans le réel ». Comme ce qui va marquer durablement notre appréhension de ce monde.

« Même ici, pour que quelque chose se passe, il faut que quelqu’un s’en aperçoive,

sinon on rejoint la feuille blanche du cahier du veilleur de nuit qui dit : rien à signaler. »

Au fil de la lecture, on distingue les silhouettes de quelques résident.es de la clinique de La Borde. On comprend ce que serait « la clairvoyance des taupes »*, cette façon de se rendre attentif.ve à la moindre des choses, disponible à l’écoute des signes produits par d’autres que soi.

La lutte de la psychothérapie institutionnelle contre les statuts et les fonctions est une lutte contre une assignation à un rôle, une lutte contre un fonctionnement pré-établi de la structure. Si la folie est une façon de se vivre, alors l’enjeu se déplace : ce qui importe, c’est de maintenir chacun.e en vie, au sein d’un collectif. Accompagner la vie, admettre et respecter la singularité, apercevoir du sens là où on ne l’attendait pas.

* Onze heures du soir à La Borde de Jean Oury

« Il y a des structures qui permettent une circulation parce qu’elles créent de la distinctivité. »

et aussi « L’homogénéisation, c’est une mise à mort. »

Cette idée importante d’après laquelle passer d’un lieu à l’autre, c’est toujours une occasion. Plusieurs lieux différents permettent de se déplacer entre ces lieux. En se déplaçant, on crée du discontinu et on peut (peut-être) dire, inscrire le sens de son trajet. A l’inverse, la continuité enferme chacun.e dans l’infini de sa pensée.

L’hétérogène est la condition du passage de l’un.e à l’autre – des lieux, des personnes.

La psychothérapie institutionnelle propose des lieux, projets, objets que les un.es et les autres partagent et sur lesquels ils et elles peuvent agir. Toutes ces initiatives collectives obligent à échanger et produisent de la distance. L’infini de la pensée est interrompu et, en s’interrompant, il s’inscrit : quelque chose s’est passé. Le je apparaît, furtivement. Ça crée peut-être un peu de repos, de soutien : « des planches sur les crevasses ».

Il y a, dans ce livre, bien d’autres choses. Certaines sont plus techniques, mais racontées néanmoins comme une histoire. Pour ma part, je comprends mieux si cette sensibilité est mise en jeu, l’impression en effet d’être une taupe, d’avancer en me cognant mais en découvrant d’autres signes dans cette obscurité.

La pensée de Jean Oury et l’expérience de La Borde proposent une appropriation de la psychanalyse très vivante, inscrite dans une réalité faite de visages, dans un désir d’habiter le monde ensemble. Quelque chose se passe lorsqu’on peut entendre et dire : « nous aimons passer nos jours avec les fous ».

Juliette

A quelle heure passe le train… – Conversations sur la folie, Depusse-Oury, Calmann Levy

Image : Seraphine de Senlis – Les fruits

Un commentaire Ajoutez le votre

  1. feltgen virginie dit :

    quel plaisir de relire ce matin de pluie les cahiers du bruit… merci pour cet article dense et intéressant …qui donne envie de lire cet ouvrage !!

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