Vingt minutes de silence d’Hélène Bessette

Un homme est mort, de mort violente. Puisqu’il y a un revolver. C’était un père de famille. Autour de lui, sa femme, son fils, et la bonne. Le médecin, qui est aussi le voisin, n’a pas été appelé aussitôt, mais après vingt longues minutes. Pourquoi, pour qui ?

Le revolver appartenait au père, qui revenait d’une sortie en automobile ce soir-là. Le père a un coffre rempli de millions. La famille a une bonne, qui s’appelle Rose, Rose Trémière…

On lit régulièrement que dans ce roman l’auteure à voulu s’essayer au genre policier. Si les ingrédients de l' »intrigue », qui le compose renvoient bien à l’univers du polar, Vingt minutes de silence ne repose pas sur une trame conventionnelle où il s’agirait de rechercher le coupable. C’est une enquête morale, sur les motifs de l’action, qui part d’un fait divers dramatique pour chercher le sens d’une série d’actions mystérieuses et renverser les premières impressions. Cette quête passionnante n’est pas sans détours, sans ironie, elle brouille volontairement les pistes.

Déconstruisant le fait brut, aisément manipulable mais difficilement compréhensible par l’opinion publique, d’un « parricide scandaleux », Hélène Bessette fait jongler les interprétations dans un enchevêtrement de voix, on-dit, choeurs, échos, pour nous faire entendre tantôt une version, tantôt l’autre, parfois la grandeur d’âme, parfois la bassesse. Peut-on dire qui parle dans ce livre ? C’est presque toujours l’ironie (l’écho ou la référence à un énoncé antérieur ou archétypal), c’est parfois l’auteur, parfois le narrateur, parfois le commissaire, c’est la rumeur du monde. Un peu comme chez Karl Kraus, c’est, grâce à la puissance de l’écriture, la mise à nue de l’opinion, un jugement de jugements, très éclairant.

Le roman d’Hélène Bessette est conçu comme une suite d’observations, de questions et de jugements, dont la forme poétique est envoutante. Il est difficile d’y faire une pause et de se détacher de sa musicalité singulière. Les retours à la ligne, les répétitions et le vocabulaire simple et généreux font immanquablement penser à l’écriture de Prévert. Ceci est sans doute aussi vrai pour les fondements moraux du livre car ce roman essaye de montrer la complexité de l’humanité, derrière sa mondanité et sa banalité, et redonne à l’enfance sa part la plus belle.

Hélène Bessette (1948-2000), auteure de treize romans publiés chez Gallimard entre 1953 et 1973, est peu connue mais considérée par les défenseurs de son oeuvre comme une écrivaine majeure. Son roman est de fait un grand livre à l’écriture avant-gardiste qui avait eu la reconnaissance de certains de ses pairs de l’époque comme Raymond Queneau et Marguerite Duras.

Vingt minutes de silence est le premier volume de l’oeuvre complète d’Hélène Bessette qui est à paraître petit à petit chez Le nouvel Attila sous le label Othello.

Robin

Illustration de l’article : Le salon meublé, Jules Sylvestre

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