Le retable de Vincenzo Consolo

« La culture est politique, sous peine de n’être que décorative » avance Consolo dans un entretien au magazine Focus in donné en 2002 à l’occasion de son refus de se présenter au salon du livre de Paris où l’Italie est invitée d’honneur. Hors de question pour l’écrivain de se retrouver là en compagnie de Berlusconi.

Vincenzo Consolo n’a jamais été inscrit à un parti politique mais ses convictions le plaçaient bien à gauche. Catalogué comme un écrivain difficile, il fait pourtant confiance à ses lecteurs pour écarter superficialité, consommation rapide et pour plonger dans des textes qui recherchent avec patience compréhension et beauté.

Le retable est un roman où s’enchassent diverses histoires d’amour, de passion et d’errance, attachées aux pas d’un peintre curieux et cultivé. Celui-ci cherche à oublier dans un voyage un amour impossible, accompagné par Isidoro, pauvre hère, lui-même passionnément épris d’une certaine Rosalia qui l’a abandonné pour devenir maîtresse d’un riche personnage. Ces récits ont pour cadre la Sicile, terre natale de Vincenzo Consolo qu’il ne cesse d’explorer dans son oeuvre. L’identité particulière de cette terre à la fois aride, pauvre et riche d’un passé de mélanges, de paysages d’or, de sonorités fortes, marque profondément le roman. On retrouve avec bonheur le sel et l’aprêté qui font la grâce des romans de Vittorini, avec cependant un ton différent, une érudition qui vient étoiler le récit sans l’alourdir. Le retable se déroule au 18ème siècle et joue avec une grande virtuosité des thèmes du baroque finissant, érotisme, fugacité, ornementation et éclatement. Bufalino, autre écrivain sicilien grand ami de Vincenzo Consolo, décrivait la littérature sicilienne comme profondément baroque, et l’écriture de Consolo ne peut que lui donner raison. Ce baroque sicilien mis au service d’un récit qui à pour cadre le 18ème siècle permet par ailleurs à l’écrivain de jouer avec les codes d’un genre qui naît aussi à cette époque, celui du roman gothique. On reconnaît dans le récit les péripéties et les personnages propres aux romans de Beckford, Lewis, Radcliffe : moines défroqués, rencontre avec des brigands ou des pirates, supplices subis par des jouvencelles, découverte de la sensualité par une religieuse, assassinats, rêves passionnés…

Ce jeu de miroirs littéraires se traduit parfois directement dans la mise en page, très originale : ainsi on suit parfois en parrallèle deux histoires, aux points communs troublants, dont l’une se déroule sur la page de gauche et l’autre sur la page de droite de l’ouvrage.

La langue utilisée par Consolo n’est pas un élément moindre de ce labyrinthe, qui emporte le lecteur dans l’errance et la découverte de paysages – extérieurs et intérieurs – riches et mystérieux. Le vocabulaire, la syntaxe, la musique, tout ceci converge pour faire du Retable un livre magnifique :

Rosalia. Rosa et lia. Rose qui a enivré, rose qui a troublé, rose qui a éventé, rose qui a corrodé, qui a dévoré mon cerveau. Rose qui n’est point rose, rose qui est datura, jasmin, groflée et violette ; rose qui est plumeria, magnolia, fleur d’orange et gardénia. […] Lia qui agaça ma vie comme le cédrat ou le citron les dents, liane de tourments, liens de bagne perpétuel, libation opiacée, liqueur ensorcelée, potion létale, lis de l’enfer que je crus divin, lime de l’enfer qui m’a sourdement érodé les os […].

Cette minutie et cette fantaisie liée invitent le lecteur à embarquer pour un voyage humain où la rencontre avec des brigands, des bergers, des grands seigneurs, des montagnes et des lagunes dit la richesse et les nuances du monde. Dans ces conditions, la culture n’est pas là pour décorer, elle fait sens.

Le retable de Vincenzo Consolo est paru en 1987 en Italie, puis en 1988 chez Le promeneur/Quai Voltaire, avec une traduction de Soula Aghion et Brigitte Pérol.

 

Elise

Illustration : Cy Twombly

 

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