La montagne morte de la vie de Michel Bernanos

Un jeune narrateur s’éveille malencontreusement sur un galion en partance pour le bout du monde. Il devient moussaillon malgré lui et doit affronter la violence de ses équipiers, avec l’aide précieuse de Toine le chef cuisinier du bateau, qui, plus expérimenté, le prend sous sa protection. A cause d’une succession d’avaries, le voyage devient cauchemardesque. Échoués sur une île mystérieuse, le narrateur et Toine sentent que partout autour d’eux, quelque chose progresse, pousse, et un battement puissant se fait bientôt entendre.

Peut-être faudrait-il commencer par le titre oxymorique du livre de Bernanos ? Qu’est-ce qui peut être « mort » et « de la vie » en même temps ? S’agit-il d’une étrange définition de la vie comme « montagne morte » ou bien alors une montagne serait-elle morte, d’avoir vécu ? Le roman de Bernanos nous plonge dès son titre, dans une excitante perplexité. Et comme à ce mystère il ne sera pas donné de réponse écrite mais seulement des chemins plausibles, on peut se raconter encore toute sorte d’histoires après l’avoir refermé.

La montagne morte de la vie est pourtant un roman d’apparence simple, il commence et termine dans le genre de l’aventure ( et même de l’aventure la plus « classique », l’aventure maritime ), et il est écrit dans la langue des conteurs généreux, avec une grande économie de mots, des phrases claires, lumineuses et poétiques. Qu’on en juge :

« Pour la troisième fois , le soleil se faisait écarlate. C’est ce moment que choisit notre mât pour venir s’échouer sur une côte à anses. »

Cette manière douce, cette tranquillité dans la progression de l’histoire ne quitte pas un récit qui est pourtant fait de nombreuses images, colorées, impressionnantes, et de péripéties violentes qui restent en mémoire.

Par-delà le ton soutenu et presque distancié du narrateur, il transpire une peur tenace qui va en s’accroissant. Les aventures des deux héros ont les caractéristiques des cauchemars dans lesquels l’horreur est déjà présente mais il faut un peu de temps pour la sentir nettement. C’est la raison pour laquelle on les suit avec une excitation croissante, réalisant à peine que tout est déjà vicié, qu’on est déjà de l’autre côté de l’acceptable. Pour le dire autrement, c’est un roman qui tonifie le malaise du genre fantastique en le dédoublant d’aventures et de mystères. Et le livre se dévore avec avidité selon le paradoxe du tragique où plus l’horreur est grande et plus le plaisir pris à la regarder est grand lui aussi. Alors cette montagne morte de la vie, le lecteur est émerveillé, grâce à Bernanos, d’y être tout en n’y étant pas.

Michel Bernanos est le fils du romancier Georges Bernanos. Il est auteur de poésie et de nombreux romans fantastiques, dont La montagne morte de la vie, au centre d’un cycle du même nom qui semble lui avoir été inspiré par les années qu’il a passé au Brésil, jusqu’à la mort de son père en 1948. La plupart de ses œuvres ont été publiées après sa mort en 1964.

J’ai lu La montagne morte de la vie dans l’édition de Jean-Jacques Pauvert de 1972 mais les éditions de l’arbre vengeur viennent de le republier en ce début d’année, suivi d’une nouvelle qui clôt le cycle Ils ont déchiré son image.

 

Illustration de l’article – Max Ernst, la forêt, 1927 (détail).

 

Robin

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