Kristin Lavransdatter de Sigrid Undset

Cette trilogie se déroule dans la Scandinavie du Moyen Âge. Les paysages se déploient et on plonge dans les hautes collines, les montagnes enneigées, les forêts et les petits sentiers, avec un grand dépaysement et sans effort, car l’écriture de Sigrid Undset n’est jamais pesante. Elle possède l’art des descriptions courtes, fortes et évocatrices. Dans ce beau et long roman, elle nous invite à suivre Kristin, une norvégienne du XIVème siècle, depuis son enfance jusqu’à sa mort.

Destinée par son père Lavrans à épouser un jeune homme honnête et droit, Simon, Kristin trahit sa famille en se donnant à Erlend, un homme connu pour ses aventures scandaleuses et son irresponsabilité. Elle l’épouse et lui donne de nombreux enfants, qu’elle élève avec un amour farouche. Kristin n’évolue pas dans le même monde que nous. Elle ne connaît pas le bruissement continu des villes contemporaines, elle a vu peu d’images, peu d’œuvres d’art, lu peu de livres. La vie d’une femme de son époque est ponctuée par les tâches quotidiennes, fabrication du pain, brassage de la bière, confection des vêtements, et puisqu’elle est une femme aisée, supervision du domaine. Son esprit dérive au rythme des fables traditionnelles et des nouveaux récits véhiculés par un christianisme qui commence tout juste à s’imposer dans ces contrées nordiques. Mais malgré tout ce qui la sépare de nous, Kristin nous apparaît comme très proche. Au fur et à mesure que se déroulait l’histoire, nous accompagnons ses mouvements, ses errances, nous comprenons sa mauvaise foi, son aveuglement, ses espoirs. Les rapports passionnés et ambivalents qu’elle entretient avec son mari et avec ses enfants sont particulièrement forts et vrais. Sigrid Undset réussit ce tour de force d’écrire un roman historique dont les personnages sont si profondément humains qu’ils nous semblent tout à fait contemporains. Et pourtant, si l’érudition de l’auteur n’est jamais pesante, il s’agit bien d’un roman historique à la précision quasi ethnographique qui déploie un tableau époustouflant de la vie du Moyen Âge nordique.

Sigrid Undset était férue d’histoire et connaissait parfaitement la littérature de la Scandinavie du Moyen Âge. Elle est née en 1882, d’une mère danoise et d’un père norvégien : Anne-Charlotte Gyth, sa mère, est l’assistante de son père, Ingvald Undset, un brillant archéologue qui travaillait sur les Étrusques et sur l’âge de fer en Europe du Nord. Dès son enfance, la petite Sigrid se passionne pour les mythes grecs et pour les sagas islandaises, qu’elle connaît sur le bout des doigts.

Elle aura par la suite une vie tout aussi romanesque que celle de son héroïne, Kristin. Lorsque son père meurt l’année de ses onze ans, Sigrid quitte l’école le plus vite possible afin de venir en aide à sa mère et à ses deux petites soeurs en travaillant. À seize ans, elle est embauchée dans une succursale d’une firme électrique allemande et effectue tous les jours un travail de bureau. Mais la jeune fille a décidé de devenir écrivain et passe ses nuits à écrire. A force de travail, d’acharnement et de talent, elle y parviendra, et obtiendra le prix Nobel de littérature en 1928 pour ses puissantes évocations du Moyen Âge. Elle s’enflamme pour l’Italie, la peinture, l’art et épouse un peintre qui se révèlera un piètre mari. Avec lui, elle a trois enfants, deux fils et une fille lourdement handicapée. Sigrid passe ses nuits à boire un café exécrablement fort en écrivant ses romans, ses jours à s’occuper de ses enfants et de sa maison, qu’elle souhaite tenir de façon traditionnelle et impeccable. Elle prendra grand soin de sa fille jusqu’à ce que la petite décède puis elle verra son premier né devenu adulte fauché par une balle alors qu’il défendait un pont contre l’avancée de l’armée allemande en Norvège. Elle sera un modèle de force et d’indépendance, vivant de son propre travail, séparée de son mari, libre de ses choix et écrira en même temps des horreurs sur la condition de la femme et sur les féministes. Elle sera une femme passionnée qui se convertira avec fougue au christianisme. Elle s’épuisera par le travail, distribuera largement l’argent qu’elle gagnait avec ses livres en le distribuant à diverses œuvres de charité et mourra solitaire, vaincue par une mauvaise toux.

Après avoir lu Kristin Lavransdatter, j’ai essayé l’autre trilogie du Moyen Âge scandinave de Sigrid Undset, Olav Audunsson, un autre très bon roman. Mais est-ce parce que le personnage principal est un homme, est-ce parce que cette trilogie a été écrite après la conversion au christianisme de Sigrid Undset, Olav Audunsson ne m’a pas semblé contenir la même force que Kristin Lavransdatter. Quant aux ouvrages qu’elle écrira ensuite, ils sont davantage teintés de morale, ce qui les rend un peu ennuyeux (c’est le cas de La femme fidèle par exemple). Cependant, il n’est pas inutile de continuer d’explorer l’oeuvre de la grande romancière norvégienne. Nous avons tellement aimé son premier roman, Vigdis la farouche, épuisé en France jusqu’à l’année dernière, que nous l’avons republié (éditions la robe noire) avec des illustrations de Julien Brunet. L’autobiographie partielle de Sigrid Undset, Onze années, vaut également le détour. Mais avant tout ça, il faut lire Kristin Lavransdatter.

 

Elise.

 

Kristin Lavransdatter est disponible chez Stock.

Illustration de l’article : John Bauer

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