Jours de famine et de détresse de Neel Doff

C’est dans les pages des Contes farouches, édités chez Plein Chant, que j’avais pour la première fois croisée Neel Doff (de son vrai nom, Cornelia Hubertina Doff, née aux Pays-Bas en 1858, morte en Belgique en 1942) ). J’avais apprécié ces nouvelles, puis oublié Neel Doff. La réédition que proposent les éditions de l’Échappée des Jours de famine et de détresse permet de réparer cet oubli, qui ne serait pas important s’il ne faisait que me concerner. De fait, c’est de l’histoire de la littérature qu’elle semble avoir été presque effacée, alors qu’elle avait frôlé le Goncourt en 1911 pour les Jours de famine et de détresse. Il s’agissait de son premier roman et elle avait déjà atteint la cinquantaine. Son enfance miséreuse était depuis longtemps derrière elle, mais elle n’avait rien oublié. Il faut dire que les aventures de la jeune Kettje puisent dans un terreau autobiographique cruel : faim, misère, exploitation, prostitution. Neel Doff fait bien partie de ces voix d’en bas qui passionnent les éditeurs de Plein Chant et qu’on retrouve aussi dans le catalogue des éditions de l’Échappée, notamment dans la collection Lampe-tempête dont fait partie ce livre. Il est réédité avec une préface et une postface intéressantes, qui situent bien Neel Doff entre littérature prolétarienne, roman picaresque et écriture du souvenir.

Le texte est accompagné des illustrations de Gaston Nick, réalisées en 1927 pour les éditions Mornay. Ce choix qui contraste avec le design très contemporain de la couverture vient replacer le texte dans une certaine tradition du roman populaire illustré, qui convient bien au texte de Doff. Mais on peut aussi penser que ces illustrations quasi d’époque ne sont pas nécessaires, dans la mesure où elles risquent de trop dater un texte qui possède un style assez libre, direct, et se lit sans peine aucune plus de cent ans après sa première parution. Les éditions l’Échappée n’ont pas tranché, et leur réédition est donc un objet assez original, entre la fidélité à une certaine tradition et le dépoussiérage. L’essentiel est que cela fonctionne, et que l’objet livre donne envie de découvrir ce beau texte. Car ces Jours de famine et de détresse font partie des livres sur la misère qui sont réussis. Du pathos, il y en a, bien sûr, le sujet est tout de même une famille complètement pauvre, où les huit ou neuf enfants sont tous les jours poursuivis par la faim et où les grandes sœurs en sont réduites à se prostituer pour espérer nourrir la famille. Mais rien de tout cela n’est raconté avec trop de larmes et drames. Neel Doff procède par tableaux successifs, rapidement brossés et efficaces, qui viennent s’aligner pour former finalement un panorama de la misère de la fin du XIXème siècle, saisissant et très humain. On grince des dents d’indignation face à certains récits (je pense au personnage de l’usurière qui m’a poursuivie toute une soirée et m’a empêchée de dormir), mais le livre ne se résume pas à une suite de malheurs : la légèreté, l’imagination, la joie enfantine se font aussi sentir, ce qui donne au texte grâce et profondeur. Je n’oublierais plus Neel Doff.

Article d’Elise

Jours de famine et de détresse de Neel Doff est disponible aux éditions L’Échappée

L’article est illustré par une photographie d’une sculpture de Charles Samuel

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