Gulîstan, Terre de roses – un film de Zaynê Akyol

Dans les montagnes du Kurdistan, des femmes combattantes du PKK (parti des travailleurs kurdes) s’entrainent à la défense de leur territoire contre l’OEI (Organisation Etat islamique).

J’ai eu la chance d’assister à une projection de ce film documentaire en présence de la réalisatrice Zaynê Akyol qui a bien voulu en éclairer quelques aspects.

A l’origine Gulîstan (qui signifie « terre de roses ») devait être un film sur la combattante éponyme que la réalisatrice avait connue dans sa jeunesse. Après avoir grandi et fait ses études de cinéma au Québec, Zaynê Akyol, née au Kurdistan, avait envie de faire son premier documentaire sur le parcours de cette femme engagée dans la branche armée du PKK à l’âge de dix-huit ans. Apprenant son décès, elle part à la recherche de ceux et celles qui ont croisé la route de Gulîstan, mais une fois sur place, les témoins manquent car la guerre contre l’OEI s’intensifie. Le film changera alors de contenu, on y suit les entrainements d’un peloton en formation qui est visitée par une guerrière déjà aguerrie, Sozdar, qui a connu Gulîstan.

Face à la caméra, dans une intimité bien assumée, ces femmes racontent leur parcours, leur quotidien, leur guerre et leurs idéologie.

Ce qui m’a surpris et touché, c’est la joie et l’énergie qui se dégagent de ces combattantes. S’il s’agit bien d’une formation guerrière, de maniements d’armes, d’entrainements sportifs etc… toute la discipline militaire cohabite avec des rires, des jeux, des discussions très libres. La détermination peut aussi se parer d’une certaine légèreté, comme dans les scènes où on voit ces combattantes danser, avec de belles parures dans leurs cheveux. Le film est truffé de ces images qui respirent la liberté et impressionnent.

Zaynê Akyol a trouvé un ton juste : elle est rentrée dans l’intimité de ces combattantes, par sympathie pour elles, sans chercher une objectivité de façade. Elle a discuté avec les guerrilleras de ce qu’elles voulaient et ne voulaient pas montrer dans le film, jusqu’à mettre en scène certains plans pour les mettre à l’aise face à la présence de la caméra. Cette sincérité vis à vis des sujets du film et du spectateur, fonctionne bien : on n’a jamais l’impression d’être voyeur ou intrusif.

C’est aussi un film qui étonne par ses qualités photographiques. L’image est magnifique, même dans « l’action », lorsque l’on passe des montagnes occupées par les combattantes aux combats de position contre l’OEI, la caméra ne tremble pas, le son n’est jamais mauvais, et l’immersion du spectateur est parfaitement maitrisée. La simplicité du dispositif filmique (une réalisatrice, un chef opérateur et un preneur de son) et le travail de préparation très soigné qui a précédé le tournage expliquent sans doute cette réussite.

Il faut voir Gulîstan, pour le souffle de liberté qui le traverse, pour la détermination de ces femmes qu’on ne connait que trop peu. Et justement, pour se donner l’envie d’en savoir plus sur le Kurdistan, son histoire et sur l’idéologie du PKK.

Qu’en est-il de cette idéologie ? Si les combattantes s’appellent « camarade » et qu’elles se réfèrent au « Parti » et à son dirigeant, la rhétorique marxiste-léniniste qui était sa ligne historique a laissé place à un projet d’autonomie démocratique depuis les années 2000. Le chef du parti, Abdullah öcalan (dit « Apo »), incarcéré depuis 1999 sous haute surveillance, a été fortement influencé par sa lecture du philosophe américain Murray Bookchin et le parti s’est orienté vers le municipalisme libertaire théorisé par ce dernier. Il s’agit d’un système fondé sur l’écologie sociale, le féminisme, et basé sur la participation directe des citoyens à des assemblées locales.

Ce ne peut pas être le lieu ici d’essayer d’analyser en détail les enjeux politiques autour du Kurdistan (faute de compétences) mais on peut signaler tout de même que ces combattantes qui défendent leur territoire contre l’OEI au nom de l’idéologie dont nous avons parlé sont, en tant que membres du PKK, considérées comme faisant partie des organisations terroristes selon les Etat-Unis, la Turquie et l’Union Européenne. Ceci alors même que la branche syrienne du PKK, le PYD (parti de l’union démocratique) est, elle, soutenue par les Etats-Unis (entre autres) en tant qu’alliée dans la lutte contre l’OEI.
La duplicité et les positions difficiles à accepter des grandes puissances mondiales vis à vis des kurdes sont notamment à l’origine de la méconnaissance du combat très important que ces derniers sont en train de mener pour une société meilleure.
Le film Gulîstan a le mérite, non seulement d’informer, mais aussi de rendre le spectateur sensible à ce qui se joue là-bas : le déploiement de forces vives contre des forces mortifères.

Gulîstan terre de roses, 2016, 1h26. Sortie en France prévue courant 2017.

A lire sur le Kurdistan et l’idéologie kurde : « Le Kurdistan, nouvelle utopie » de Mathieu Léonard dans la Revue du crieur numéro 4, juin 2016.

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