Discuter avec Nathan Golshem : un entretien sur la revue « Demain les flammes »

Paru en Octobre 2016 le premier numéro de la revue Demain les flammes proposait déjà un sommaire ambitieux. On y trouvait un entretien sur l’histoire du Punk avec Mimi Thi Nguyen et Golnar Nikpour, un autre sur le roman policier sous le IIIe Reich avec Vincent Platini, ainsi que de la BD, des photographies, un article sur le rock Zambien… Le deuxième numéro de la revue n’ayant déçu aucune des attentes suscitées par le premier, bien au contraire, nous publions ici un entretien avec Nathan Golshem, coordinateur de Demain les flammes,  pour présenter cette revue formidable et patienter jusqu’à la parution du numéro 3 annoncée prochainement.

Bonjour Nathan, nous avons trouvé dans les deux premiers numéro de la revue : des entretiens très complets sur la littérature prolétarienne ou le roman noir allemand sous le régime nazi, des articles sur des gens ou des lieux issus d’une culture protestataire, de la BD, des photographies… Le tout étant visuellement très agréable et soigné. Quelle est la ligne, le projet de Demain les flammes ?

Nathan Golshem : Merci pour ces retours sur la revue ! Demain les flammes, en publiant des articles de fonds, des entretiens au long cours et en laissant une place importante au visuel, cherche à montrer, discuter et perpétuer les cultures d’en bas, celles qui vivent dans les souterrains. S’il doit y avoir un projet qui irait au-delà de cette ambition très générale, je pense que Demain les flammes cherche surtout à participer à sa façon à un réseau de petites revues, de fanzines, de publications sous le manteau qui entretiennent et renouvellent les moyens de diffusion que nous devons mettre en place pour faire connaître nos idées et nos pratiques. Peut-être la particularité de Demain les flammes est-elle de rajouter un peu de post-exotisme à l’histoire !

Un manifestant belge à l’entrée du site d’essais nucléaire du Nevada, au moment de l’explosion du dernier essai nucléaire aux Etats-unis, nom de code « Divider » –
Walk Across America, 23 septembre 1992 –
Photographie de Caroline Dossche issue de son portfolio sur la longue marche des antinucléaires

Depuis les contributeurs jusqu’au contenus de certains articles, Demain les flammes semble devoir beaucoup à la musique ou à la culture punk, peux-tu nous dire de quelle façon ?

C’est assez simple : le punk, c’est ma vie ! Ou plutôt, une très grosse partie de ma vie (parfois je dors aussi). C’est le punk qui m’a fait découvrir la possibilité de faire des choses par soi-même, c’est le punk qui a très longtemps nourri ma curiosité musicale et littéraire, c’est le punk qui a fondé la plupart de mes amitiés. En clair, c’est une scène que je pense un peu connaître et dans laquelle je me sens légitime pour intervenir – publier des entretiens, demander des articles, relayer des images, etc.
Avant de faire Demain les flammes, j’ai fait pendant pas mal d’années un fanzine qui s’appelait Plus que des mots, et qui traitait quasi exclusivement de punk. Demain les flammes, c’était le moyen de faire un peu un pas de côté et d’essayer de toucher d’autres personnes tout en montrant les ponts entre cette culture-là, le punk, et d’autres cultures populaires.

On trouve dans Demain les flammes nombreux articles traduits de l’anglais, est-ce un enjeu que d’essayer de transmettre un peu de la culture américaine du fanzine, de son écriture ou de son iconographie, vers un public francophone ?

 Il y a une grande envie de traduction dans Demain les flammes, oui, mais pas nécessairement de la culture américaine… Le problème auquel je suis confronté, c’est que je ne parle pas vraiment d’autre langue que le français et l’anglais (un peu d’espagnol, mais je suis incapable de le traduire), et me retrouve donc assez vite bloqué dès qu’il s’agit de trouver des textes à traduire d’autres langues. Mais j’y travaille, et je serais très heureux qu’on vienne me proposer des articles traduits du croate, de l’allemand, du mandarin, de l’indonésien, du tamoul, du cri, etc. Dans un des prochains numéros, un traducteur du polonais va traduire une histoire orale du punk polonais, donc c’est un début qui ne demande qu’à être prolongé !

Cette envie de traduction vient d’un constat assez simple : dans les fanzines, il n’y a quasiment jamais de traductions, alors que c’est un moyen extraordinaire d’appréhender des réalités lointaines, de comprendre des contextes auxquels nous ne sommes pas confrontés, etc. Demain les flammes, avec ses moyens, essaie de combler un tout petit peu ce manque !

Oui, ce n’est pas nécessairement centré vers la culture des USA mais je pensais notamment à cet article traduit de l’américain et qui raconte l’histoire de Hunt’s Donuts, un magasin qui tient une place particulière dans le quartier Mission à San Fransisco. C’est une histoire vraiment passionnante. Dès le début on peut deviner que c’est traduit de l’anglais à cause du ton et de la manière d’écrire. J’ai le sentiment qu’on n’écrit pas en France des articles de cette façon, en mélangeant une vision personnelle, des anecdotes, à une sorte de « micro-histoire » culturelle, non ?

Tu touches du doigt une question essentielle : à quoi sert la traduction sinon à importer d’autres visions du monde et d’autres modes d’écriture ? Erick Lyle, l’auteur de cette histoire d’un magasin de donuts dans le quartier de Mission à San Francisco, a en effet réussi à trouver une approche tout à fait originale que je ne connais pas vraiment à des auteurs ou journalistes français. Le point de vue qu’adopte Lyle, dans ce texte, est tout à fait enthousiasmant pour moi : il part du sujet le plus prosaïque et quotidien qui soit (un magasin somme toute invisible pour tout le monde) et le relie à une histoire qui le dépasse et nous englobe tous, celle de la transformation d’un quartier par les décideurs, celle des luttes sociales, etc. L’idée, en traduisant, est aussi d’inciter à écrire de cette façon. Je rêve d’un article qui prendrait le même angle ou qui aurait recours aux mêmes stratagèmes pour écrire une histoire qui se passerait ici et maintenant.

La devanture de Hunts’ donuts

Je crois qu’on imagine bien qu’il y a beaucoup de travail pour proposer une revue de cette qualité, dans quelle mesure est-ce un travail collectif ?

C’est un travail faussement collectif. Faussement, car je suis le seul à prendre les décisions – j’établis les sommaires lors de réunions où je suis le seul présent, demande des contributions sans attendre l’avis de qui que ce soit. Cela a des avantages (tu es le seul maître à bord) mais pas que (la diffusion, c’est aussi toi qui te la cogne, tu ne peux pas trop demander de choses aux ami-e-s, etc.). Mais, par contre, c’est tout de même une véritable œuvre collective, car tout seul je n’arriverai jamais à un tel résultat : je ne sais pas prendre de photos, dessiner, traduire de plusieurs langues, je ne suis pas correcteur, je ne suis pas capable d’écrire sur tous ces sujets à la fois, etc. Alors d’autres personnes s’en chargent, et sans elles, la revue ne pourrait pas exister !

Au bas de la page de présentation de chaque numéro de Demain les flammes tu as laissé des informations de contact pour qu’on te propose éventuellement des articles ou des illustrations, as-tu eu des propositions ?

Oui, quelques-unes. Certaines superbes qui seront publiées, d’autres qui ne collent pas trop avec ce que j’aimerais faire, d’autres encore que j’aime moins… Mais c’est ouvert, toujours, car on n’est pas à l’abri de surprises magnifiques, ainsi qu’en témoignera la BD publiée dans le numéro 3 en préparation !

Derrière ou à côté de cette revue il y a aussi une activité de graphisme et un atelier de sérigraphie (la Turbine) ? Quelle place a pour toi l’aspect esthétique du projet ? Quels sont les choix réalisés en matière de techniques et d’impression ?

La Turbine est un peu à côté de la revue, car la revue n’a pas grand-chose de collectif dans la prise de décision et dans sa conduite. La Turbine, en revanche, est tout ce qu’il y a de plus collectif, puisqu’il s’agit d’un atelier de sérigraphie et de graphisme regroupant cinq personnes (à qui j’ai d’ailleurs demandé des coups de main pour la revue !). Nous faisons toutes nos impressions à la main, et celles-ci sont soit nos productions (affiches, cartes, fanzines), soit des commandes d’autres personnes (affiches, t-shirts, couvertures de livres/revues), que ce soit dans un cadre militant ou pas.

Dans ce contexte, j’attache une très grand importance à l’aspect visuel de la revue : c’est la première chose que tu vois en empoignant un objet, c’est ton premier rapport et tu te fais une idée sur son contenu à partir de cette base. Je ne crois pas que contenu et contenant soient dissociables ; ils doivent être pensés ensemble et donner envie ! Je suis toujours ébahi de voir la gueule de certaines revues des années 1970-1980 qui n’avaient aucun moyen, ou bien de certains fanzines qui utilisent les contraintes de leurs techniques d’impression cheap pour obtenir un rendu qui tabasse. Quelle que soit la technique d’impression, il faut en accepter les contraintes et essayer de jouer avec !

La revue est imprimée en offset pour l’intérieur afin d’avoir le meilleur rendu possible pour les images, et notamment les photos. Mais cette technique oblige à avoir un tirage de 500 exemplaires minimum, ce qui conditionne pas mal le reste (le prix, la diffusion, etc). La couverture, pour sa part, est imprimée par nos soins en sérigraphie. Cela demande du temps, mais permet d’avoir des rendus uniques (les décalages en font partie, bien sûr…).

Couverture du premier numéro de Demain les flammes

Nous avons découvert Demain les flammes grâce aux petites annonces qui paraissent dans la revue Jef Klak. D’une façon générale comment vous préoccupez-vous de la diffusion de la revue ?

C’est incroyable ! Je me demandais justement si des gens allaient plus loin que la lecture des petites annonces pour le simple plaisir de lecture ! La diffusion, c’est un peu le point noir, car ça prend beaucoup de temps et ça arrive à la fin de tout un processus chronophage et énergivore : la fabrication de la revue… Pour toi qui la produis, elle est terminée, mais pour les potentiels lecteurs, elle existe à peine !

La diffusion de Demain les flammes se fait par l’intermédiaire de quelques libraires bienveillants et d’un grand soutien qui acceptent de la prendre et de la mettre en avant, et surtout de tout un réseau de distro ambulantes qui en embarquent une poignée d’exemplaires et la diffusent autour d’eux. Sans ce réseau de diffusion alternatif, la revue ne pourrait pas circuler. Mais j’ai beaucoup à apprendre et à travailler de ce côté-là – les cartons remplis d’exemplaires de la revue me le rappellent dès que je passe devant !

Une double-page de la revue, extraite d’un entretien passionnant avec Edmond Thomas,  le fondateur des éditions Plein Chant

D’où vient ce nom, Demain les flammes ?

Demain les flammes est un romånce de Maria Schrag publié en 1980. Comme tous les excellents livres, il est très dur à trouver. Beaucoup de bouquinistes en ont oublié jusqu’à l’existence, et le net, cet outil soi-disant surpuissant, n’en connaît même pas l’existence. Mais j’ai eu la chance, un jour, d’en entendre une lecture à voix haute dans la rue. Un type était debout sur une cagette, ses longs cheveux gras battaient la mesure et, d’une voix hypnotique, il prononçait des extraits de ce texte. Cela n’a pas duré longtemps. J’étais le seul à l’écouter – et encore, de loin –, alors au bout d’un moment il est descendu de son piédestal et est parti. C’est tout ce que j’ai jamais pu connaître de ce romånce. Depuis, je lis beaucoup de littérature post-exotique. C’est une quête perpétuelle. Dernièrement, j’ai découvert un écrivain danois, Victor Sap, une perle.

Ce qui me fascine autant dans ce mouvement littéraire, c’est sa capacité de subversion, qu’elle soit esthétique ou politique. D’ailleurs, cette note de la DGSI récemment dévoilée (https://lundi.am/Une-note-de-la-DGSI-revele-que-le-Parti-Imaginaire-serait-en-realite-un) montre que je ne me trompe pas : les roussins, eux aussi, voient bien dans le post-exotisme une possible contestation totale de ce monde !

Justement, Nathan Golshem, tu es l’homonyme d’un personnage de Lutz Bassmann dans son livre Danse avec Nathan Golshem, et Lutz Bassmann est lui-même un écrivain fictionnel… Peux-tu nous en dire un peu plus sur la littérature post-exotique pour ceux qui, comme nous, n’en sont pas familiers ? J’ai d’abord pensé que « post-exotique » était en rapport avec des articles comme celui de Golnar Nikpour sur l’exotisation de la pop iranienne qui va à l’encontre d’un point de vue ethnocentriste de l’histoire de la musique… Rien à voir ?

Et bien, si Golnar Nikpour avait écrit cet article depuis une prison dans un monde où la Révolution mondiale aurait échoué, où la Deuxième Union soviétique s’était effondrée, qu’elle avait été marquée par les horreurs des camps, de l’apocalypse nucléaire et qu’elle déclamait son texte devant un public inexistant tout en menant une cérémonie chamanique, alors peut-être qu’elle ferait du post-exotisme. En attendant, elle se consacre à détruire ce qui façonne notre exotisme dans la musique, ce qui n’est pas si mal !

Le post-exotisme a été très bien documenté et présenté par Antoine Volodine, le porte-parole de ce mouvement, dans ce qui est presque un manuel, Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze. On y découvre la multitude d’auteurs qui façonnent ce genre littéraire, leur histoire, et quelques extraits de leurs œuvres. Il manque cependant la référence à Victor Sap, mais Demain les flammes tachera de réparer cela dans les prochains numéros.

Nathan Golshem est en effet un personnage de la succession de narrats que compose Danse avec Nathan Golshem, un livre magnifique sur l’amour, la danse et le combat politique jusqu’à la mort. Reprendre ce nom est un hommage à un grand combattant inconnu du XXe siècle, et une manière de brouiller les pistes, un peu, histoire de donner envie de se plonger dans la revue et les univers qui la compose !

Alors merci pour tout  !

La revue Demain les flammes est disponible dans de nombreux points de vente et sur commande, elle n’est pas couteuse !

http://www.demainlesflammes.lautre.net/

Bonne lecture,

Robin.

 

 

 

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