Cahier de Poèmes 18#

Histoire d’un ours mou

 

Regarde un peu cette boule de coaltar qui suinte, s’étire et s’enfle par la fente fenêtre de deux arbres. Au-delà des arbres il y a une clairière et c’est là que le coaltar voudrait aller sous forme de boule et pattes, sous forme de coaltar poils et pattes et pour la suite le dictionnaire au mot ours.

A présent, le coaltar boule émerge humide et mou, secouant des fourmis innombrables et rondes, éclaboussant chacune de ses traces qui s’ordonnent harmonieusement à mesure qu’il va. C’est-à-dire que le coaltar projette une patte ours sur les aiguilles de pin, fend la terre lisse et, en retirant sa patte, imprime devant lui une pantoufle déchiquetée et l’amorce d’une fourmilière multiple et ronde, embaumant le coaltar. Ainsi, de part et d’autre du chemin, fondateur d’empires symétriques, la forme avance, poils et pattes, imprimant une construction pour fourmis rondes dont, humide, il se secoue.

Enfin le soleil apparaît et l’ours mou lève une tête puérile et ravie vers ce gong de miel auquel vainement il aspire. Le coaltar se met à sentir avec véhémence, la boule croît au rythme du jour, poils et pattes seulement coaltar, poils pattes coaltar qui murmure une prière et guette la réponse, la profonde résonance du gong là-haut, le miel du ciel sur sa langue museau, sur sa joie poils et pattes.

 

Julio Cortázar, Cronopes et Fameux, 1962,

Editions Gallimard 1977, pour la traduction

 

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