Purity de Jonathan Franzen

 

Mon enthousiasme pour les romans de  Jonathan Franzen n’a pas diminué après la lecture de Purity, même si celui-ci m’a semblé un peu plus difficile à défendre auprès de futurs lecteurs. Sans doute parce qu’il est  contemporain, et peut-être trop près de nous.

Disons-le d’emblée, Purity est un vrai « page-turner », pour ceux qui ont un grand plaisir dans les lectures immersives, c’est un petit bijou du genre. Comme les autres romans de Franzen, l’écriture se fait rapidement oublier. Les descriptions sont précises et finement adaptées aux situations, ce qui renforce le côté cinématographique de ce genre de littérature (comme chez Jeffrey Eugenides ou Richard Ford) qui laisse beaucoup de place à des contextes ou des paysages dans lesquels se meuvent les personnages.

On peut d’ailleurs refermer le livre en ayant l’impression d’avoir regardé trois saisons d’une (bonne) série télévisée.
C’est vrai aussi parce que Purity est un roman polyphonique, dont l’intrigue court sur plusieurs générations et trois continents…
L’histoire commence avec Pip, de son vrai nom « Purity », une jeune femme endettée par un crédit d’étude qu’elle ne peut parvenir à rembourser avec son minable boulot de démarcheuse téléphonique. Pip est aussi désespérément amoureuse d’un des colocataires (marié) du squat dans lequel elle vit à Oakland.
Sa mère est très présente dans sa vie et alors qu’elle vit pourtant dans une cabane paumée, retirée du monde, c’est presque sa seule amie.
Pip nourrit encore l’espoir que cette dernière lui révèle un jour l’identité de son père, dont elle imagine qu’il pourra l’aider à rembourser ses 130 000 dollars d’emprunt.
Les rouages de l’intrigue basculent lorsque Pip accepte de discuter plus longuement avec la belle Annagret, une allemande de passage aux Etats-Unis, hébergée temporairement dans le même squat que Pip, alors qu’elle est en mission pour le Sunlight Project. Avant cette rencontre Pip ne connait du Sunlight Project que la renommée médiatique de son créateur le hacker Andreas Wolf qui s’est spécialisé dans la fuite de documents compromettants au nom d’une quête de lumière et de transparence.

A partir de là, le roman nous emmène dans l’Allemagne de l’Est en décomposition, dans la belle folie de deux étudiants passionnément amoureux, dans un petit paradis perdu bolivien… Avec au centre la jeune Pip, attachante et forte de ses sarcasmes et d’une assez grande liberté jusque dans les difficultés qu’il y a à « se trouver ».

De la même façon qu’avec Freedom,  Jonathan Franzen faisait vivre des personnages dans l’intention de révéler progressivement l’ambiance d’une époque (post-11 Septembre pour Freedom), Purity se veut ancré dans le « présent » des années 2010 : les personnages s’envoient des textos sur leur Smartphones, les journalistes enquêtent aussi grâce à Facebook etc.
Cette fois les thèmes fondamentaux de l’époque sont liés pour l’auteur à l’omniprésence de la notion de « pureté » dans les questions contemporaines. L’opposition entre le « nouveau journalisme » à la WikiLeaks, représenté par Andreas Wolf, et le journalisme « Old school », représenté par Tom Aberrant, sert par exemple à mettre en question les notions de transparence et d’intégrité. La vie de la mère de Purity est une terrible convulsion sur la difficulté qu’il y à a assumer un héritage et suivre « sa » voie.
En fait tous les personnages du roman, à commencer par Purity, sont eux-mêmes traversés par des oppositions de ce genre. Dans leurs désirs et leurs actions, ils sont en recherche d’une cohérence difficile à assumer.

Comme Richard Ford dans Independance,  Jonathan Franzen parvient à diluer le discours qu’il pourrait être tenté de projeter sur ses personnages. Il multiplie les approches d’une façon telle qu’on sort de ces lectures emballé par des destins attachants et non pas abasourdi par une lecture morale comme on pourrait le craindre lorsqu’un projet littéraire ambitionne de tourner autour d’une notion aussi vaste que la pureté, la liberté (ou l’indépendance pour Ford).
Jonathan Franzen a des opinions, et plutôt tranchées, qu’il exprime notamment dans des articles de presse, mais la richesse de ses romans repose au contraire sur cette multiplicité de voix contradictoires. C’est en ce sens que ses livres sont « tragiques », comme il le revendique lui-même : car ils posent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses, et parce que le conflit « ne peut se résoudre en clichés » (1).

C’est encore la grande qualité de Purity, comme des précédents romans, que de respecter ainsi ces personnages de fictions, en leur épargnant (parfois de justesse) la caricature au profit de la dignité.

Purity, se lit donc très bien pour les amateurs de littérature facile mais intelligente et ses 700 pages peuvent s’engloutir bien trop rapidement. Il reste que ce roman, sorti en 2017, m’a semblé plus difficile à juger que Freedom et les corrections que j’ai lu dans les trois années précédentes. En effet, le monde change vite et le regard de Franzen est parfois si juste qu’il gagne sans doute a être adopté quelques années après qu’il se soit posé sur l’ambiance de notre époque.

robin

(1)  Dans le recueil d’essais Pourquoi s’en faire ?, éd. de L’Olivier, 2003. Cité dans l’article de Télérama.fr

Purity est disponible en poche chez Points Seuil mais est paru d’abord en grand format aux éditions de l’Olivier.

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