C’est comme un roman victorien, avec ces sombres intrigues de cœur, d’honneur, et le qu’en-dira-t-on des cercles mondains. S’il n’y avait des breaks, des joints, les pantalons pattes d’eph’ et les chaînes stéréo, il pourrait y avoir des métayers, des maladies obscures, des calèches et la saison des bals.
Comme un roman victorien moderne, amer et cynique. La douce moquerie un peu honteuse des gens biens sous tous rapports, vaguement de gauche, plutôt cultivés (prenant part, donc, au monde moderne) et qui confinent à la bêtise la plus crasse lorsqu’il s’agit de s’arranger de leurs vies affectives.
Et quelque part, c’est aussi une critique acide, car tellement pointue, de soi et des autres, et l’on reconnaît que leur lâcheté, justement, leur bassesse, ne sont rien de plus qu’humaines.
Il y a une jeune étudiante, aux joues d’enfants, vêtue de ponchos. Il y a l’ex-étudiant, aujourd’hui quarantenaire, qui tient une librairie ésotérique et parle des astres à qui veut l’entendre. Il y a la femme cultivée, brillante, devenue mère au foyer, lassée des étreintes de son mari. Il y a le professeur d’université, un peu court sur pattes, sensible à l’enthousiasme et à la si belle poitrine de ses étudiantes. Il y a la copine, un peu vulgaire, un peu paumée, qui se fait draguer par le vétérinaire.
Ils sont tous sacrément ratés. Étonnamment aussi, on apprécie leur compagnie. Des caricatures avec des traits qui nous ressemblent. Ils sont bien, dirais-je. Ce ne sont pas des anti-héros non plus. Vraiment comme on imagine qu’on peut être lorsque la vie vous passe dessus, simplement.
Il y a, et ça m’a fait crisser les dents, cette tristesse des ados qui s’éloignent du foyer parental (ou ce qu’il en reste). Je crois jamais n’avoir lu cela : la déclaration de guerre, les figures boutonneuses, cette mue vers la fabrication d’un inconnu, un peu trop grand et aux drôles d’habitudes.
Comment ose-t-elle, réussit-elle à dire, tout à fait comme il faut, avec l’humour et le fair-play, cette chose qui semble alors si affreuse ?
Il y a les saisons qui passent sur ces pavillons américains, et est-ce toujours l’hiver ? Il semblerait …
Au fond, c’est un roman qui veut parler du tragique de l’âge qui nous prend, des années qui marquent. Mais avec du loufoque, de l’absurde. Un prof de la fac qui s’échappe de son bureau assiégé à l’aide d’une corde à nœud. Un trip de vieux qui planent dans un appartement avec un tapis vert. Mais rien ne semble si fou, je vous assure ! Ni si romancé, ni si spécial. Des vies assez communes, en fin de comptes.
En toile de fond, les mouvements féministes, la guerre au Vietnam, la légalisation de l’avortement, les communautés hippies à la campagne.
Qu’on ne se mente pas : tout ça ne vient pas de nulle part. Ce sont des vies qui s’acheminent avec le monde qui bouge.
Au final, un plaisir un peu coupable … une lecture qui s’achève trop vite. Quelque chose qui parle de l’époque, des petites trahisons, de la nostalgie du temps d’avant. Ça m’a intriguée. J’ai lu tout le roman avec une espèce de surprise, assez agréable il faut le dire.
Juliette
Illustration de l’article : Edward Hopper, A Woman in the Sun,1961